Editorial Voie Etroite N°262
Juin - Juillet 2014
La nostalgie heureuse
Les cartes postales du début du 20ème siècle sont une fabuleuse machine à remonter le temps, en particulier dans le domaine des chemins de fer secondaires qui, à cette époque, s'implantaient partout dans les régions françaises. Beaucoup, hélas, n'avaient pas vraiment d'utilité et certains disparurent rapidement, mais il nous reste le souvenir de tous les petits trains à travers les cartes postales. Devant une gare, un peu perdue dans la campagne au nom parfois exotique, un train est arrêté. Devant lui posent le personnel de la gare, quelques dames en robes longues et chapeaux, quelques messieurs et souvent des enfants qui regardent, émerveillés, la boîte qui va capter leur image… Ces gens semblent heureux de poser devant le train, “leur train” qui quotidiennement les conduisait au travail ou, les jours de foire, au bourg voisin dans leurs beaux habits du dimanche. Certes, la vie n'était pas toujours facile, mais le train, installé là pour toujours, constituait un repère fiable.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui, sinon ces images un peu surannées ? Et pourtant quand nous sommes sur le quai de la gare de Guîtres ou du Crotoy devant un train avec des voyageurs embarquant dans des voitures anciennes que va tracter une belle locomotive à vapeur, pas de doute, nous voici entrés, comme Alice au Pays des Merveilles, dans la carte postale de 1900. Et si les grands trains ne font plus rêver, les petits trains ont encore ce privilège et nous entraînent dans un autre monde bien loin du stress et du tumulte de la vie moderne.
Les politiques, qui courent après elle, devraient savoir que la mixité sociale ne se décrète pas, elle se vit au quotidien quand des humains partagent, en famille ou entre amis, des bonheurs simples ; par exemple celui de s'émerveiller encore devant le spectacle d'un petit train qui les emporte dans un nuage de vapeur en les bousculant un peu. Alors chacun est heureux, parle spontanément avec ses voisins d'un moment, bien loin des stériles discussions politiques et économiques. Il sera bien temps demain de retrouver le confort sinistre de son TER ou de son RER où chacun est aussi gai qu'un condamné à mort et ne sait même plus qu'il pourrait parler à son voisin et échanger un peu d'humanité avec lui.
Alors, plongeons-nous dans la nostalgie heureuse que nous offrent les chemins de fer touristiques ; les cartes postales anciennes sont alors bien vivantes et là, à notre portée.
Jacques Lefèvre