Editorial Voie Etroite N°285
Avril - Mai 2018
J’ai mal aux rails…
Depuis toujours, dès que j’ai su marcher, mon terrain de jeux a comporté une voie ferrée. De famille cheminote, mon grand père travaillait à l’exploitation à la compagnie du Nord et mon père à la SNCF, j’ai vécu dans les gares ou les citées cheminotes (au milieu de la grande famille du rail) jusqu’à l’âge de 12 ans. Ça laisse forcément des traces indélébiles, tant la vie y était rythmée aux passages des trains (à vapeur et à l’heure !) ou aux prises de service continu 3x8, toute l’année, sept jours sur sept. N’ayant pas fait carrière dans le ferroviaire, ni public, ni privé, la vie est ainsi faite, j’ai pourtant fréquenté le monde cheminot en permanence au milieu de la famille ou des amis, professionnels passionnés pour qui la circulation des trains est une priorité.
C’est donc naturellement que je suis passé à l’acte en septembre 1971 afin de devenir “cheminot du dimanche” dans une association de préservation ferroviaire pour y faire rouler des trains. Les problèmes à résoudre, avec très peu de moyens, y sont nombreux, mais nous mettons un point d’honneur à assurer le service annoncé quoiqu’il arrive (par tous les temps, le train) ; quitte à ce que ce loisir occupe certains d’entre nous plus que leur vie professionnelle : car il faut ici plus qu’ailleurs, respecter l’esprit cheminot. Ayant connu le chemin de fer des années 50, celui qui avait permis la remise en marche du pays grâce au transport massif des marchandises indispensables à l’économie, celui qui innovait chaque jour pour préparer l’avenir au bénéfice de tous en électrifiant le réseau (adieu à la vapeur ?) en roulant à 200 km/h, puis en inventant le TGV qui a roulé jusqu’à 574,8 km/h ( j’y étais !), j’ai toujours mal vécu le recul du rail.
Si l’évolution de la société provoque une adaptation naturelle des besoins, entraînant l’abandon des petites lignes de campagne pourtant si utiles aux autochtones, il est consternant de constater que ce soit après avoir supprimé volontairement le trafic fret au bénéfice de la route et désorganisé les horaires afin de les rendre moins pratiques…Tout en prétendant, lors de conférences internationales, que le train peut sauver la planète, puisque c’est le moyen de transport le moins polluant. Mais ça, c’était avant les autocars longue distance… qui seront un jour électriques et que la SNCF me propose tous les jours d’emprunter via ma boite mails !
Décidément, j’ai mal aux Rails et si l’esprit cheminot arrive à survivre sans statut, pour l’avenir de nos chemins de fer, je crains que ça ne soit que dans les compagnies privées où œuvrent des bénévoles !
Alain Blondin
Président de l’APPEVA